Ci-dessous reportage Vidéo (10 mn) avec des extraits de la lecture par Karine Sauter et des interviews du public pendant la verre de l'amitié qui a clôturé cette soirée
Texte intégral de la Présentation du 11ème Printemps de Bourges,
le mardi 3 mars 1987 à Paris, au Balajo,
par Pierre Desproges.
Monsieur le Maire communiste de Bourges (comment peut-on?),
Monsieur le Président du Conseil Régional de la Région Centre,
Messieurs les politicards de droite et de gauche,
Mesdames et Messieurs les professionnels honnêtes ou véreux du spectacle,
Camarades artistes, Vedettes ou Ringards,
Vous toutes et vous tous qui êtes venus nombreux ici en
croyant que le buffet était de Lenôtre,
Cher Daniel Colling, qui avez su faire du Printemps de
Bourges ce qu'il est aujourd'hui, je veux dire un authentique et véritable
bordel,
À tous, amis de la musique de nègres et de la culture sous
chapiteaux,
Bonsoir !
En l'absence de Coluche, qui a
été retenu par un cercueil, et de mon confrère et ami Guy Bedos qui participe
en ce moment même à la remise du prix « gauche-caviar » à Laurent
Fabius pour son livre « Je m 'ai bien marré à Matignon », en
l'absence de ces rois du rire, c'est à moi, Mesdames et Messieurs, qu'échoit le
redoutable honneur de présider cette grotesque mascarade promotionnelle er
médiatique dont l'intérêt culturel n'échappera à personne, bien que, je
le répète, le buffet ne soit pas de Lenôtre.
Je serai bref, rassurez-vous,
comme je sais l'être chaque fois que je m'estime sous-payé par rapport à
l'ampleur de la tâche qui m'incombe. Et croyez-le, Mesdames et Messieurs, elle
est rude pour moi, cette tâche. Quoi du plus difficile, en effet, pour un homme
de mon faible gabarit, que d'avoir à s'exprimer haut et fort sur un sujet qui
l'emmerde, devant des gens qui ne sont pas de son milieu. Je vous le dis comme
je le pense : personne n'était moins désigné que moi pour prendre la
parole ici, ce soir.
En effet, Mesdames et Messieurs,
« Le Printemps de Bourges », j'en ai rien à secouer : je hais le
rock, je conchie la musique classique, le jazz m'éreinte, et Jane Birkin
commence à nous les gonfler avec ses regards désolés de mérou au bord des
larmes. Quant aux humoristes français qui ont survécu à l'hécatombe de 1986, au
cours de laquelle deux employés de Paul Lederman sont tombés coup sur coup (et
je pèse mes mots), quant aux humoristes français, dis-je, je dois à l'honnêteté
de reconnaître qu'il n'y en a plus en France. Ce ne sont pas Michel Leeb et
Stéphane Collaro qui me contrediront sur ce point. On me dira que
j'exagère...bien sûr, Raymond Devos et Louis Leprince Ringuet font toujours
pouffer les rigolards du troisième âge, mais pour combien de temps encore ?
Comme vous, Mesdames et Messieurs,
j'ai reçu le dossier de presse de ce nième « Printemps de Bourges ».
C'est avec consternation que j'ai pris connaissance du programme des
réjouissances qui vont se dérouler chez les bouzeux berrichons pendant 10 jours,
du 17 au 26 avril prochain. Le croirez-vous ? En dehors du mien, aucun des
noms d'artistes tous azimuts qui défilaient sous mes yeux ébahis ne m'était
familier. « Est-il possible, me disais-je en mon for intérieur, est-il
possible qu'en dehors de Pierre Desproges qui se donnera en spectacle le samedi
25 à 17 heures, au Palais des Congrès, places 100Frs et 75Frs, est-il possible
qu'en dehors de ce garçon, il n't ait rien d'intéressant à voir cette année au
« Printemps de Bourges » ?
Bien sûr, on relève dans cette
liste ô combien cosmopolite, les noms de vieilles célébrités du flonflon
pré-pompidolien comme Charles Trenet, le fanon chantant, ou Gustav Mahler du
Balajo munichois, ou ceux de quelques brâmeurs moribonds du gospel des fifties,
comme ce pauvre Ray Charles qui, lui non plus, n'est pas blanc blanc dans cette
affaire.
Pour le reste, rien. Le désert,
le néant, la boîte crânienne à Lalanne.
Dans ces conditions, Mesdames et
Messieurs, je vous le demande : pourquoi diable aller à Bourges ?
Car enfin, que nous propose ce
Printemps pourri, en dehors de ces spectacles nauséabonds ? Des
expositions. Quelles expositions ? Je lis : « À la Maison de la
Culture, seront exposés les instruments traditionnels des musiciens du
Berry ». Quel Berry ? Richard Berry ? Claude Berri ? Jules
Berry ? Strawberry ?
Quels instruments du Berry ?
La bombarde à six trous ? La flûte à pompe ? La cornemuse berruyère à
souffler dans les chèvres ? Le tromblon chérois ?
Allons-nous, amis parisiens qui
sommes tous débordés par l'exigeante âpreté de nos tâches urbaines qui nous
conduisent chaque jour au bord de l'infarctus et de l'illégalité, allons-nous
tout quitter brutalement pour aller mirer des binious chez les ploucs ?
Et qu'est-ce que c'est que ce
village des sponsors ? Dont le dossier nous dit, je cite :
« La nouvelle salle du festival abritera l'Accueil Professionnel. On y
trouvera un tout nouvel espace, « Le Village des Sponsors », lieu de
rencontre privilégié où se retrouveront journalistes, artistes, partenaires du
Festival ».
Moi, je veux bien. Mais qui nous
dit que des capotes seront bien distribuées à l'entrée ?
Alors, ? Qu'aller faire à
Bourges ?
Dormir à l'hôtel d'Angleterre où,
si j'en crois le dépliant local, les chiens et les handicapés physiques sont
admis ?
Coucher entre un paraplégique et
un cocker, piètre consolation, n'est-il pas vrai pour qui n'est ni zoophile ni
suceur de béquilles.
Non, chers amis
culturo-dépressifs que seule la soif de Sancerre a éjaculé du bureau comme elle
fait sortir le loup du bois, non, chers amis parasites venus vous goinfrer aux
frais de la branche dure du groupe « Vingt Dioux la Marie, V'là les gars
d'Paris qu'arrivent », non, nous n'irons pas là-bas, malgré le chant des
sirènes qui nous crient aux oreilles, tel François Léotard coursant la mère Duras
dans la rue Séraucourt : « Au cul la vieille, c'est le
Printemps de Bourges. »
PIERRE DESPROGES
REVUE DE PRESSE :
commentaires :
Au lendemain de la représentation un spectateur nous a envoyé ce message - Merci à lui :
Bonjour,
merci pour votre invitation du 21 janvier
merci d'avoir fait revivre Pierre Desproges pour cette soirée
en pièce jointe sa triste tombe au Père Lachaise que j'ai eu l'occasion de visiter récemment ...
toujours étonnant ? oui !
Claude Bernard
merci pour votre invitation du 21 janvier
merci d'avoir fait revivre Pierre Desproges pour cette soirée
en pièce jointe sa triste tombe au Père Lachaise que j'ai eu l'occasion de visiter récemment ...
toujours étonnant ? oui !
Claude Bernard
« Lettre à l'au-delà (prière de faire suivre...)
Pierre Desproges est mort d'un cancer ! Étonnant, non ?"
par Gilles Magréau.
Pouf, pouf, je paraphrase :
« Pierre Desproges est mort d'un cancer ! Révoltant,
non ? »
Si la nature a horreur du vide,
ma mémoire a horreur de l'absence, Pierre.
Dieu merci (quelle
expression...), j'ai eu le singulier privilège de connaître Pierre Desproges.
Moins que je n'aurais voulu – le temps, quel fourbe ennemi- , mais mieux qu'il
ne le savait. Oui, c'est quelqu'un de la famille qui vient de s'en aller. Au
meilleur de sa forme, en pleine possession de son art. Quelle classe. Nous
demeurons frustrés, nous, les médiocres, nous les élèves.
Auteur, créateur, artiste (sacré
artiste!), penseur, moraliste, référence, au final, il était tout cela et j'en
oublie sûrement. Oui, ça l'aurait fait marrer (secrètement flatté?) de
reconnaître qu'il devenait une référence, au fil de ses œuvres . Il faisait du
Desproges. Inimitable. Jaloux de sa superbe écriture, je demeure. « Les
Chroniques de la Haine Ordinaire » ? Un chef-d'oeuvre ! Les
Goncourt se fussent honorés en lui décernant leur prix, cette année-là. Y
pensèrent-ils seulement ? Trop tard, cher Pierre. Ou tant mieux : la
trace écrite, à jamais reste noble.
Je secoue ma tête, il en pleure
des souvenirs. Celui-ci a moins d'un an. En juin 87, radieux de plaisir, je
recevais Pierre Desproges à Tours, qui allait clore le Festival
« Dehors/Dedans ». Il s'y « donna en spectacle » devant une
salle comble où siégeaient ses parents, venus en voisins curieux, de Bourgueil.
Soirée royale et terriblement émouvante. Après le spectacle, prisant fort peu
les photographes, il accepta spontanément de poser au milieu de l'équipe du Festival. L'homme à la dent dure
avait le geste tendre. L'homme au trait irrespectueux avait la pensée
prévenante. J'en témoigne, je le sais.
Le voilà parti « pousser sa
longue plainte déchirante, où perce néanmoins une certaine tendresse » du
côté des étoiles. Seront-elles sensibles à la chance qui leur échoit ?
J'espère, Pierre, que tu as emporté
avec toi le goût du « Noble Joué » qu'on te fit découvrir et qui, en
coulisses, remplaça ton Champagne favori, durant les pauses de ton spectacle...
J'attendais, impatient comme un
amoureux fervent, ton prochain livre, ton prochain spectacle. Mais quoi,
c'était la vie, c'était banal. Tu as préféré apprivoiser la mort ! S'en
remettra-t-elle ? En attendant de savoir, moi, avec chaleur et respect, je
salue l'artiste.
Gilles Magréau
Au soir du 20 avril 1988
SALLE COMBLE POUR NOTRE SOIREE DU 21 JANVIER.... Pas étonnant non ?
SALLE COMBLE POUR NOTRE SOIREE DU 21 JANVIER.... Pas étonnant non ?
Merci à Karine Sauter d'avoir fait revivre Pierre Desproges et de nous avoir prouvé - comme s'il en était besoin - à quel point cet auteur reste jeune et d'actualité. Bref, et en un mot, disons-le Desproges n'est pas vraiment mort !! En introduction à cette soirée, devant la cheminée monumentale de la Salle des Festins du Palais Jacques Coeur, Karine Sauter a lu un texte que Pierre Desproges avait spécialement écrit pour la conférence de presse du 11ème Printemps de Bourges. Ce texte, que visiblement de nombreux berruyers ont découvert, nous vous proposons sur cette page, de le relire dans son intégralité de revivre quelques moments de cette soirée, de retrouver des extraits de textes lus par Karine puis par son "invité surprise" Riton de Nazareth, si vous avez envie, enfin, d'entendre les réactions du public à la sortie du Palais, nous vous proposons la Vidéo ci-dessus et vous donnons rendez-vous pour nos prochaines lectures.
L'équipe de Double Coeur.